samedi 10 février 2024

J’écris, je ne parle pas

Mes ajouts textuels à Nice-Nord se feront plus rares. J’ai le sentiment de n’être pas loin d’avoir tout dit. Mais je peux ajouter au dispositif (à la cabane, à la baraque foraine) des documents audiovisuels en forme de journal.

Je songe à organiser des sortes de lectures ou d’installations qui soient comme des visites guidées de Nice-Nord.

Lecture d’un petit cahier d’Entretiens avec Jonas Mekas (par Jérôme Sans, Morgan Boëdec et Léa Gauthier. Les Cahiers de Paris expérimental, n° 24, 2006). Pas une ligne qui ne soit juste et précieuse. 

Le fait d’avoir quitté l’Algérie avec toute ma famille a atténué le sentiment de l’exil. Mais les raisons et les occasions d’y retourner disparaissaient du même coup. Que serions-nous allés chercher là-bas, d’où nous avions été chassés par les habitants eux-mêmes? Les Juifs qui avaient dû fuir l’Europe de l’Est se vivaient bien évidemment comme des victimes. Nous autres étions désignés au contraire comme des coupables, aussi bien par les Algériens que par les Français, ces derniers trouvant à nous reprocher d’avoir été des colons, de nous être enrichis aux dépens d’un peuple autochtone et pauvre, et d’avoir été responsables en cela d’une guerre injuste, sanguinaire et finalement perdue, dans laquelle beaucoup de leurs enfants avaient été amenés à se battre, à participer à des atrocités dont ils ne voyaient pas le motif, à souffrir et mourir trop souvent, des enfants qui étaient quant à eux de vrais Français, aux noms français, tandis que beaucoup d'entre nous, comme ma famille elle-même, ne l’étaient pas. Ainsi, la cause était entendue. Il n’y avait plus aucun témoignage à produire. Aucune explication, aucune rectification concernant les faits n’était recevable. Il fallait renoncer, s’occuper ailleurs, parler d’autre chose. Pour nous, pour moi au moins, le pouvoir de la parole elle-même s’en est trouvé compromis. J’ai raconté des histoires, et je continue de raconter des histoires inventées sur fonds de cette impossibilité-là. J’écris, je ne parle pas.



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