samedi 16 mars 2024

Questions de styles

Quand nous courons assister à un concert de musique baroque, quand nous achetons un album de musique soul ou un roman policier, ce n’est pas d’abord parce que la tête d’affiche nous paraît le mériter, mais d’abord, dans l’immense majorité des cas, parce que nous aimons la musique baroque, la musique soul ou les romans policiers. Parce que ces genres musicaux ou littéraires, parce que ces styles d'écriture parlent à notre sensibilité. Et ce qui nous retient dans ces formes d’expression, nous ne sommes pas les seuls à y être sensibles. Pour autant, il est difficile de le nommer, de le décrire, même de l’évoquer. Il est difficile d’en parler. Sans doute, d’autres que nous le font-ils, ou s’efforcent-ils de le faire. Mais eux-mêmes ne le font qu’après-coup, parce que d’abord ils ont été émus. Et ce qu’ils en disent, de préférence dans des magazines spécialisés, ne suffit jamais à rendre compte de l’impression, encore moins à l’expliquer. Tout juste à rendre l’impression plus claire, plus distincte. Et d’ailleurs, dans leur immense majorité, les amateurs ne lisent pas les articles en question, ils ne veulent pas savoir, il leur suffit d’aimer.

Beaucoup des impressions qui nous marquent le plus profondément, que nous cherchons à retrouver, à reproduire, que ce soit à titre individuel ou collectif, ne passent pas par des mots. Qui a jamais dit que les garçons devaient porter des pantalons baissés au milieu des fesses, découvrant ainsi les couleurs et les motifs de leurs caleçons (sagging), et pourquoi? Qui a jamais dit que les jeunes femmes, un beau jour, devaient porter des socquettes très courtes, laissant découvertes des chevilles qui émergent des sneakers, de préférence sous des pantalons de jogging un peu larges, un peu bouffants, et pourquoi? Ces images de corps fragmentés sont apparues un beau jour dans les rues de nos villes (seules des photos devraient nous permettre de dater de façon assez précise la première fois) et l’effet qu’elles ont produit était si puissant, si unanime, qu’en quelques semaines ou quelques mois, elles se sont propagées de manière virale d’un continent à l’autre.

Les amateurs de musique espagnole sont émus par le mode phrygien dominant dans lequel elle s'écrit ou qui, à un moment ou un autre, s’y retrouve. Beaucoup, quand ils ne sont pas musiciens, auraient du mal à le décrire, mais ils le reconnaissent à coup sûr. C’est lui qui les fait vibrer. La musique qui se fait sur la base qu’il fournit n’en est jamais pour eux qu’une illustration, qu'une célébration plus ou moins réussie, plus ou moins éloquente. Pour l’enfant qui apprend à jouer de la guitare dans cette langue, comme pour Miles Davis qui s’y réfère dans Sketches of Spain (1960), qui le cite déjà de façon très discrète dans Kind of Blue (1959), c’est la même chose qui est désignée, le même ça qui se trouve au centre, comme le noyau de l’atome, qui donne l'énergie.

Les artistes, dans leurs œuvres, illustrent des styles qui ne leur appartiennent pas. Et leurs œuvres sont marquantes, soit parce qu’elles offrent une illustration la plus pure, la plus caractéristique de ce style, soit parce qu’elles le font évoluer en l’hybridant avec un autre. 

Les styles premiers n’ont pas d'auteurs. Les styles seconds (ou personnels) s’y ajoutent et les marquent de différentes façons.



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